
Numérisation dans la construction métallique
Entre technique de soudage et développement logiciel
La numérisation est un terme omniprésent. Mais dans quelle mesure la branche de la construction métallique suisse est-elle vraiment numérique ?
C’est sur cette question que Simon Schori s’est penché pour son travail de master. Et il a constaté des contradictions intéressantes. Alors que les articles de presse et les entretiens avec des spécialistes de la branche évoquent souvent une numérisation hésitante dans la construction métallique, M. Schori connaît une autre réalité en tant que collaborateur de longue date d’une grande entreprise suisse de construction métallique : la numérisation est en cours, depuis des années.
Cet écart entre perception générale et expérience propre lui a donné à réfléchir. Il a voulu en savoir plus pour son travail de diplôme en MAS Business Engineering à la ZHAW : à savoir où en est vraiment la branche ? Quels progrès ont été réalisés et où faut-il rattraper un retard ? Il s’est confié à metall . Découvrez dans cette interview ses expériences personnelles, ses connaissances techniques et ses appels pratiques à la numérisation dans la construction métallique suisse.
Interview
Monsieur Schori, qu’est-ce qui vous a poussé à consacrer votre mémoire de master à la « numérisation dans la construction métallique » ?
Il y a eu en fait deux déclencheurs. D’une part, des discussions entre collègues ont donné l’impression que notre branche était à la traîne en matière de numérisation. D’autre part, certains articles de la presse spécialisée ont soulevé des doutes similaires. Je savais par expérience que l’entreprise de mon employeur était très numérisée et j’ai voulu savoir ce qu’il en était vraiment, si nous passions à côté de la numérisation ou s’il s’agissait d’une fausse impression.
Et qu’avez-vous découvert ? Sommes-nous vraiment à la traîne ?
Non, je ne dirais pas ça. Mes recherches et mes entretiens avec des experts ont montré que la construction métallique dans son ensemble fait bonne figure en Suisse par rapport à d’autres branches. Mais comme beaucoup d’autres, nous nous concentrons surtout sur la numérisation et l’automatisation des processus existants. Il manque souvent un regard courageux vers l’avenir : penser à de nouveaux modèles commerciaux au lieu de simplement traduire l’analogique en numérique.
La branche de la construction métallique compte toute une série d’entreprises dont les capacités numériques s’étendent de la « maîtrise » à l’« aversion ». Mais il en va de même dans les autres branches suisses. Cet éventail est particulièrement difficile pour la formation professionnelle. Celle-ci doit développer des profils professionnels compatibles avec des entreprises formatrices abordant la numérisation de manières très diverses.
En quoi la construction métallique se distingue des autres branches en termes de numérisation ?
Notre travail est très physique. Nous construisons des objets réels (des pièces uniques ou des produits standardisés) qui sont finalement posés sur le chantier ou montés chez le client. Le défi consiste à associer processus numériques, précision et créativité artisanale. Il y a bien sûr de grands écarts : certaines entreprises fabriquent des pièces artistiques uniques et d’autres sont déjà presque entièrement automatisées. Il faut des stratégies de numérisation très différentes.
Dans votre travail, vous vous prononcez en faveur du « citizen development » et des « low code tools ». Pourquoi ces approches ?
Un développeur de logiciels formé coûte cher et de nombreuses PME ne peuvent pas s’offrir de tels services. Mais notre personnel est aussi de plus en plus numérisé et attend des solutions intelligentes. Les outils low-code permettent à ce personnel de concrétiser des idées rapidement, à moindre coût et selon la pratique. L’informatique reste importante afin de fournir infrastructures et soutien, mais elle ne doit pas créer elle-même chaque application.
Y a-t-il des oppositions à ces approches ?
Bien sûr. Il y a la peur de l’informatique fantôme ou des processus incontrôlés. Mais c’est justement là que les plateformes low-code sont utiles : elles rendent les solutions visibles et contrôlables. L’astuce consiste à créer des règles claires assurant tant la créativité que la sécurité. Et surtout, le personnel doit être pris au sérieux, responsabilisé, et non freiné.
Vous parlez aussi du BIM (Building Information Modelling) comme d’une opportunité. Où en est-on dans ce domaine ?
Le BIM est encore à ses balbutiements dans la construction métallique et le bâtiment en général. Il y a de premiers projets, de premières expériences, mais pas encore de mise en œuvre à grande échelle. Le potentiel serait énorme, notamment pour la collaboration entre les architectes, les planificateurs et les entreprises exécutantes. Je souhaiterais que les associations de branche fassent preuve de plus de courage et ancrent le BIM dans la stratégie.
Et les petites entreprises, peuvent-elles s’offrir tout cela ?
C’est une question légitime. Mais la numérisation n’est pas forcément chère. Les solutions low-code sont souvent très avantageuses à l’achat, avec un grand impact potentiel et peu de ressources. Grâce à elles, l’entreprise peut s’adapter davantage. Et les petites entreprises aussi : numériser aujourd’hui augmente les chances de succession et assure la compétitivité.
À la fin de votre travail, vous adressez un appel aux conseillers et prestataires. Qu’attendez-vous concrètement ?
Nous n’avons pas besoin de belles présentations PowerPoint. Nous avons besoin de personnes qui nous aident à réfléchir, mettre en œuvre et persévérer dans la pratique, qui nous sortent de notre routine pour nous montrer ce qui fonctionne vraiment et qui conçoivent des prestations aussi accessibles aux petites entreprises. En bref, nous avons besoin de personnes qui agissent.
Et que dites-vous aux réticents à la numérisation ?
Aucun problème tant que l’entreprise fonctionne bien avec une clientèle et un personnel satisfaits. Il existe d’excellentes solutions analogiques. Mais certaines normes (e-mail ou bon de livraison électronique par exemple) sont fixées par la société. Les ignorer implique un risque de perdre le fil.
Un souhait final ?
Oui. Pour le domaine de la formation : l’intégration de la CAO 3D et du low-code à la formation professionnelle. La prochaine génération est plus numérique. Donnons-lui les outils nécessaires. ■
Remarque de la rédaction
« Citizen developer »
Personnel techniquement expérimenté qui crée des logiciels hors du service informatique pour sa propre spécialité. Contrairement à un développeur professionnel, le « citizen developer » n’a pas ou peu de connaissances en informatique et en programmation.
« Plateforme low-code »
Environnement de développement de logiciels recourant à des outils de conception d’applications visuels et d’autres procédés de modélisation graphique à la place des langages de programmation textuels classiques.
Source : Wikipedia (en allemand)
« Building Information Modelling » (BIM)
Pour la branche de la construction métallique : planification, coordination et exécution numériques de projets de construction à l’aide d’un modèle 3D central. Il permet une planification précise d’éléments métalliques, un contrôle précoce des collisions avec d’autres corps de métier, une fabrication et un montage plus efficaces ainsi qu’une communication transparente entre tous les participants au projet. Conséquences : réduction des erreurs et des coûts, et optimisation des processus.